L’ancien archevêque de Lomé, opposant à Faure Essozimna Gnassingbé qui s’était exilé en Suède après la présidentielle de 2020 est mort ce mardi 9 janvier 2024 à l’age de 94 ans sans vivre l’alternance qu’il souhaitait si ardemment au Togo.
Ancien archevêque de Lomé, Monseigneur Philippe Fanoko Kossi Kpodzro, est une figure emblématique de la politique togolaise. Né le 30 mars 1930 à Tomégbé, un petit village de la Région des Plateaux, il entame des études au Togo avant de rejoindre le Petit séminaire de Ouidah, au Bénin. Il poursuit ensuite ses études à Rome où il obtient en 1955 une licence de philosophie avant d’obtenir en 1959 une licence de de théologie. Entre 1965 et 1972, il est recteur du petit séminaire Saint-Paul d’Atakpamé, puis délégué national des prêtres togolais et secrétaire général du secrétariat permanent du clergé africain. Après 17 ans de prêtrise, il est nommé par le pape Paul VI évêque d’Atakpamé le 3 janvier 1976, où il exerça son ministère durant seize ans et demi, avant d’être nommé archevêque de Lomé le 17 décembre 1992, fonction qu’il occupera durant quinze ans jusqu’au 8 juin 2007, date à laquelle il prendra sa retraite. Il dirigera la Conférence épiscopale du Togo de 1992 à 2006.Ses déboires avec la dictature Gnassingbé Eyadéma, commencent dès sa nomination comme évêque d’Atakpamé très mal perçue par le pouvoir. Les débuts de son ministère épiscopal ne sont pas de tout repos car son ordination comme évêque par le cardinal Paul Zoungrana est empêchée à Atakpamé et doit de dérouler à Lomé le 2 mai 1976. Il est durant quatre ans empêché d’accéder à son diocèse qu’il doit diriger depuis Lomé.
Très tôt donc, le ministère épiscopal de Philippe Kpodzro, se conjugue avec l’engagement politique qu’il n’abandonnera jamais jusqu’aux derniers moments de sa vie. Il est un acteur essentiel de la Conférence Nationale souveraine (CNS) du Togo qu’il préside du 1er juillet au 28 août 1991, conférence qui ouvre la voie à l’instauration du multipartisme. La tenue de cette Conférence intervient dans un contexte de très grave crise sociopolitique que traversait le Togo sous le régime de Gnassingbé Eyadéma, père de l’actuel président Faure Gnassingbé. A l’issue de la Conférence, Philippe Fanoko Kossi Kpodzro dirigera du 20 août 1991 au mois de février 1994, le Haut-Conseil de la République.
Des travaux du Haut-Conseil de la République est issue la Constitution togolaise de la quatrième république qui sera adoptée par référendum en 1992. Très engagé en politique, Mgr Kpodzro avait activement participé à l’introduction du multipartisme dans les années 90.
Toute son existence Mgr Kpodzro n’aura de cesse de défendre les principes fondamentaux de la démocratie et de s’engager pour libérer son pays le Togo, d’une dictature cinquantenaire de père en fils.
Ainsi, pour tenter de trouver un exutoire, l’on trouve Mgr Kpodzro engagé dès que la crise politique récurrente qui affecte le Togo connait des pics de tension susceptibles d’entrainer la reprise des violences toujours en état d’affleurement.
En 2005, à la suite du décès de Gnassingbé Eyadéma il organise avec d’autres religieux et des avocats, une marche pacifique pour tenter de résoudre la crise politique née de la tentative de coup d’état institutionnel fomenté par les officiers supérieurs de l’Etat-major des forces armées togolaises pour installer Faure Gnassingbé à la tête de l’Etat, au mépris de la Constitution.
En décembre 2018 après un an de crise politique intense née de l’insurrection populaire du 19 août 2017, au cours de laquelle on dénombre à l’époque plusieurs morts de militants pacifiques, il intervient également auprès du pouvoir pour demander le report des élections législatives le temps que s’apaisent les tensions.
A l’automne 2019, suite à une révision constitutionnelle non consensuelle, il appelle ouvertement à l’alternance politique, constitue une plateforme revendicative et tente de fédérer les forces politiques pour parvenir à une candidature unique de l’opposition. Il multiplie les sorties médiatiques, dont une, où dans un improbable mélange des genres il est entouré d’imams et de pasteurs protestants pour demander aux leaders religieux de se mobiliser pour aider l’opposition à désigner un candidat unique, pour affronter Faure Gnassingbé.
Il échouera dans cette tentative et finalement soutiendra explicitement un candidat, Agbéyomé Kodjo. Le soutien à ce dernier y compris dans la période post-électorale, lorsque le pouvoir lève l’immunité parlementaire d’Agbéyomé Kodjo qui s’est autoproclamé président, vaut à Mgr Kpodzro l’encerclement de son domicile par l’armée.
A partir de ce moment son séjour sur sa terre natale devient de plus en plus difficile. Se sentant menacé il fera le choix de prendre le chemin de l’exil, d’abord pour s’installer à Accra au Ghana, pays voisin, puis finalement en Suède ou il était exilé depuis trois ans et s’est éteint ce 9 janvier au matin.
Le père Mélésoussou, curé de la cathédrale d’Atakpamé, en lui rendant hommage résume bien l’onde de choc que provoque sa disparition au Togo : « C’est une consternation et aussi un coup de tonnerre. C’est très douloureux. Nous sommes très affligés, surtout qu’il n’est pas au pays. »
Il est très douloureux en effet de savoir que Mgr Kpodzro, a vécu ses derniers instants en ayant le sentiment d’avoir été abandonné.
Dans un billet du 16 octobre 2019, intitulé « Togo : Libertés, l’« impensé » post-colonial de la diplomatie française »[i] nous avons déjà rendu un vibrant hommage au combat de Mgr Kpodzro, pour rendre compte de son intervention le 11 octobre devant l’Ambassade de France à Lomé, lorsqu’il était venu dénoncer la passivité de la chancellerie française en regard des entraves à la liberté subies par les citoyens du Togo dont nous reprenons quelques extraits.
Nous avions remarqué à l’époque que Mgr Kpodzro se trouvait curieusement bien seul devant l’Ambassade de France, pour défendre la liberté des togolais, alors qu’au Togo, la liberté est un sujet d’actualité permanente depuis le coup d’Etat du 13 janvier 1967.
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